Intégrité et Authenticité, par le Docteur Danche

Lors de nos Assemblées Générales du CESCQUAL (Club des ESthètes Citroën du QUArtier Latin), la discussion aboutit très souvent à la question: telle voiture (d'une annonce, d'une connaissance) est-elle vraiment authentique? Arguments péremptoires et concours de taille d'engins se sont succédés ainsi entre nous depuis des années, et ce toujours devant des couscous bien arrosés.

Mais un jour de 2012, nous autres, les machos du matching numbers, avons trouvé notre maitre.

En l'occurence un quidam spécialisé dans la conservation du patrimoine, qui nous a expliqué les critères de l'Unesco pour quantifier précisément l'authenticité d'une ville ou d'un bâtiment. Et l'intrus (qui a depuis été admis au CESCQUAL) de nous annoncer que dans nos discussions nous confondions joyeusement intégrité et authenticité.


Il est donc l'heure d'une explication de texte des termes employés par l'UNESCO.

L'intégrité, c'est quand l'objet patrimonial considéré (ici, une DS) est parvenu jusqu'à nous sans avoir subi de modification. Tous ses constituants sont donc ceux qui étaient là au jour de sa production.
Une DS intègre, elle est non repeinte, elle a ses premiers pneus, ses premiers joints, etc. Elle n'existe donc pas, mais on peut se rapprocher de cet idéal dans les cas où la voiture a été extrêmement peu utilisée.

Le musée Fradet de Castellane, c'est en fait le musée de l'intégrité.
Le bon Henri fait erreur (au moins au sens de la terminologie Unesco) quand il écrit tout en haut de son bandeau sur son site "Citromuseum, la passion de l'authenticité". Car l'authenticité, c'est tout autre chose.

 

L'authenticité, c'est quand l'objet que l'on a sous les yeux est une évocation qui est conforme dans le moindre détail à un objet d'époque. Une DS restaurée dans les règles de l'art mais sans excéder le niveau de qualité de production de l'époque, est une DS authentique.

Une DS19 de 1961, par exemple.
Même si elle n'est pas matching numbers, elle sera tout à fait authentique du moment qu'elle a le type de moteur qu'aurait eu une DS19 en 1961. De même, si elle est peinte dans une couleur de son millésime, même si ce n'est pas sa couleur d'origine, alors elle est bel est bien authentique.

Finalement, le site www.nuancierds.fr, qui recense les détails d'évolution, les couleurs, les intérieurs d'une année donnée, est un site qui est dédié à l'authenticité.

 

Deux puissantes considérations sur intégrité et authenticité


1 Que faire d'une DS intègre?

La DS intègre a quelque chose de miraculeux quand le collectionneur la redécouvre ainsi préservée, malgré toutes les années qui ont passé.

Le musée n'étant pas tout de même l'objectif de tout un chacun, posséder une DS intègre conduit en réalité à un cas de conscience, car sans même parler de sa décote financière avec l'augmentation du nombre de km parcourus, l'utiliser un tant soit peu la dénaturera: pour rouler, on sera bien obligé de changer -au moins- les pièces d'usure.

Le puriste gèrera ça au mieux.

Le méga-puriste voudra que les pièces d'origine ne soient pas remplacées mais réparées (par exemple il fera restaurer la direction qui est sur la voiture, et refusera tout principe d'échange standard).

Ne riez pas, il existe des specimen de ces méga puristes, même si j'en connais très peu (deux). C'est d'ailleurs assez facile de les reconnaitre, les méga-pursites: quand on les écoute, on a envie de les mettre sur un divan, et de leur prendre 80€ de l'heure en murmurant "mmmmwouiii....continuez...".

 

2 Non respect de l'authenticité: le cas de la modification du liquide rouge

Le non respect de l'authenticité est très répandu, et souvent son objectif avoué est de fiabiliser le véhicule. L'allumage électronique, par exemple, est un non respect de l'authenticité, mais qui est au fond réversible, et je le cautionne.

Mais où s'arrêter dans ce non respect?

Sur ce sujet je voudrais dire un mot sur le liquide rouge.

Passer une voiture de son liquide rouge d'origine à du liquide vert, c'est pour moi une insulte à son authenticité. C'est faire Viollet le Duc à Notre Dame de Paris: on préserve le chef d'oeuvre, on lui prolonge son espérance de vie, mais avec des modifications profondes qui ne transmettront pas aux générations futures ce qu'étaient les vraies caractéristiques de ce chef d'oeuvre quand il a été créé.

Vous voulez rouler avec les vieilles DS et ID, celles d'avant 67?
Eh bien roulez en liquide rouge.

Sur ID ça ne pose d'ailleurs absolument aucun problème d'avoir du liquide rouge, l'hydraulique étant réduit à sa portion congrue, il y en a même qui roulent à l'huile de Colza. Non, vraiment, les ID d'avant 67 qui sont passées en liquide vert par la frousse d'on ne sait quoi, c'est juste grotesque.

Sur DS, c'est autre chose. Je reconnais que le choix du liquide doit être bien pesé (pour ma part je recommande la dernière refabrication Pentosin), que les règlages LHS de la BVH sont délicats et parfois instables, qu'une patience infinie est requise pour trouver les pannes, que les pièces NOS sont parfois grippées à mort et inutilisables.
Oui, c'est vrai, pour une DS en LHS, du temps et de l'argent seront nécessaires. Et si vous n'avez ni l'un ni l'autre, eh bien c'est tout simplement que la DS d'avant 67 n'est pas pour vous.

Nombreux sont d'ailleurs les gens qui le reconnaissent et l'assument.
Ils n'en veulent pas, de la DS liquide rouge! Ils veulent une DS fiable, ils prennent donc, par exemple, une DS21 Pallas 67-69, parce que les finitions sont à leur sommet sur cette période, et roule ma poule, ils laissent les vieux bousins à quelques originaux qui ont du temps devant eux.

Mais passer outre, et vouloir "faire genre", "faire look vraiment rétro mais sans les ennuis", c'est à dire rouler dans une DS d'avant 67 qui a été passée en liquide vert, c'est à mes yeux une médiocre mascarade, une voiture pour le cinema. Oui, le cinema, et non la réalité, vous savez, comme quand on voit des Traction après-guerre tournant dans les films sur l'occupation.

On m'objectera que je suis donneur de leçons. Que le liquide vert est un choix pragmatique quand on part d'une DS arrêtée depuis des années, où tout l'hydraulique, grippé, sera à refaire. Oui c'est vrai, restaurer en liquide rouge augmentera le prix de la restauration, demandera des compétences plus pointues, la voiture sera moins fiable, et le prix à la revente en sera même diminué, les gens ayant la frousse des DS en liquide rouge.

Oui tout cela est vrai.

Alors, où trouver les raisons pour restaurer quand même en liquide rouge?

Ma réponse: parce que c'est le prix de l'authenticité.

 

Photo d'illustration de cet article: ma DS19 1961, à peu près authentique, et mon ID19 familiale 1960, à peu près intègre, toutes deux en liquide rouge. Ce jour-là je revenais de chez mon garagiste ;-)